Le développement personnel au regard de l’expérience

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Depuis l’antiquité, le développement personnel est synonyme d’expérience, d’expérience de son Être. De nombreux auteurs se sont exprimés sur les expériences de l’Être. Ici nous présentons donc brièvement différents types d’expériences qui nous ont semblé caractériser les divers domaines d’agissement du développement personnel. Que ce soit à travers les états modifiés de conscience, les pratiques corporelles, les expériences du quotidien, le développement personnel en tant que processus n’est pas figé. Il se situe dans une dynamique de changement et par conséquent il s’inscrit dans le champ de l’expérience. Chaque expérience apporte la connaissance ou tout au moins une opportunité de connaissance. Chacune peut être considérée comme une épreuve de confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde tant intérieur qu’extérieur et dont on peut tirer une leçon de sagesse et ainsi se développer. Les expériences d’accomplissement de soi, de bonheur, de plénitude, ont été mises en avant par de nombreux auteurs. Chez MASLOW ces expériences ultimes sont appelées « peak experiences » ou expériences paroxystiques, celles-ci pouvant être « fructueusement interprétées comme achèvement de l’agir dans le sens de David M. LEVY, le point final pour les psychologues de la gestalt, l’illustration type de l’orgasme complet de REICH, ou bien une décharge complète, une catharsis, un sommet, une consommation, un point culminant, une plénitude, un accomplissement » 1 . Chez ROGERS, c’est l’expérience de « the good life » c’est-à-dire la vie pleine. Celle-ci est à rapprocher de l’expérience du flux de CIKSZENTMIHALIY, c’est à dire de l’expérience optimale. Enfin, à travers les expériences du quotidien, Karl Graaf DURKHEIM parle de l’expérience authentique de l’Être.

Les « peack experiences » ou expériences paroxystiques

Ces expériences sont destinées à libérer, faire éclater les limitations mentales ou émotives et à donner accès à une conscience beaucoup plus large de la réalité. Pour MASLOW une expérience paroxystique est « l’expérience cognitive réalisée dans l’amour de l’autre, dans l’expérience parentale, dans l’expérience mystique et cosmique, dans la perception esthétique, dans la vie créatrice, dans la recherche intellectuelle, dans la pratique thérapeutique, dans l’expérience orgastique, dans certaines formes de plénitude physique. Ce sont de tels moments de grand bonheur et d’accomplissement que j’appelle expériences paroxystiques » 2. Dans ce type d’expérience il y a perception d’une unité, une résonance entre l’être et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur. Il y a un sentiment d’immanence transcendante. Autrement dit que « tout est à l’intérieur de tout », qu’il n’y a plus l’Un et le Tout mais que l’Un est Tout. « Dans l’expérience paroxystique, l’individu vit maintenant libéré du passé et du futur, présent à ce qui se passe » 3.

L’expérience du flux ou l’expérience optimale

Chez CIKSZENTMIHALIY l’expérience optimale se manifeste dans le « flux ». Cette métaphore caractérisée par le liquide en mouvement désigne l’absence d’efforts qui accompagne les moments privilégiés de la vie. « Le flux est une source d’énergie psychique en ce sens qu’il canalise l’attention et motive l’action. Comme d’autres formes d’énergies, il est neutre, il peut être employé à des fins constructives ou destructives » 4. Par conséquent cela implique que la personne qui est dedans, lui donne une direction. D’une part le flux a tendance à se produire lorsque la personne, dans une activité quelconque, se trouve face à un ensemble d’objectifs clairs qui nécessitent des réactions appropriées. « Lorsque les objectifs sont clairs, la rétroaction pertinente, les capacités et les défis équilibrés, l’attention s’ordonne et s’investit pleinement. Du fait que toute l’énergie psychique est requise, la personne est complètement focalisée. (…) Lorsque l’être tout entier est tendu vers le fonctionnement optimal du corps et de l’esprit, la tâche accomplie est accomplie pour elle-même, et vivre n’a pas besoin d’une autre justification que vivre. Dans cette harmonieuse concentration de l’énergie physique et psychique, la vie devient enfin ce qu’elle doit être » 5. Les activités flux produisent une rétroaction immédiate, « organismique ». Nous savons tout de suite si notre action est juste et permet ainsi à l’expérience optimale de se produire. D’autre part, le sentiment d’unité entre l’Être et le Monde, « la conscience d’appartenir à une dimension plus vaste et plus permanente que soi-même » 6 est pour CIKSZENTMIHALIY une condition sine qua non pour pouvoir optimiser sa vie et ainsi vivre dans l’expérience « flux ». L’expérience optimale est donc caractérisée par des activités qui représentent un certain défi qui stimulent l’individu et l’obligent à se dépasser. L’individu est concentré sur ce qu’il fait et la préoccupation de soi disparaît. L’expérience est enrichissante pour elle-même et sa perception de la durée est altérée ; l’individu ne voit plus le temps passer.

L’expérience authentique de l’être

L’expérience est fondamentale dans la pensée de DURKHEIM. D’une part, il s’agit de la façon dont l’être se manifeste dans l’existence ; d’autre part, elle doit conduire à l’éveil d’une nouvelle conscience qui invite l’individu à se comporter d’une nouvelle façon dans son quotidien, sans quoi l’expérience en elle-même n’est rien. C’est donc par l’expérience que l’Être se révèle et se développe.

Pour DURKHEIM, l’être est une trinité ; une plénitude qui donne à ce qui vit la force de vivre, une loi qui ordonne son devenir, sa réalisation, sa forme, et une unité avec ce qui le dépasse. L’être s’est revêtu d’une tunique de peau pour faire l’expérience de son existence dont le sens, la voie, serait l’Homme universel, transparent à l’être. Par conséquent, dans l’expérience, sur le chemin de la transparence, l’être doit être amené à percer toutes ses peaux, se mettre à nu pour se réaliser. « Chaque expérience de l’être transcendant a donc un côté libérateur et un côté obligeant. (…) Mais comme il est dit en Orient, l’expérience de l’éveil ne fait pas encore un éveillé. Aussi faut-il que l’homme qui fait l’expérience se mette en chemin pour devenir et être, petit à petit, celui qu’il a reconnu le temps de l’expérience » 7. L’expérience authentique se manifeste donc dans le quotidien. « C’est la vigilance pour chaque action, la façon d’être là dans chaque action qui est importante ». Dans son ouvrage Le centre de l’être, DURKHEIM définit les critères de l’expérience authentique de l’être :

– « Le premier critère qui authentifie une expérience de la transcendance est son goût. La transcendance à pour l’homme un goût particulier. C’est le goût du sacré, du numineux » 8, autrement dit, pour reprendre l’expression de Rudolf OTTO « l’expérience affective du sacré » .

– Le second critère est le rayonnement. La personne qui vit une expérience dans laquelle se révèle l’être transcendant rayonne à l’instar des représentations de l’auréole des saints.

– « Le troisième critère est certainement le plus important. Il n’y a pas d’expérience légitime sans naissance d’une nouvelle conscience. Cette conscience appelle l’homme à se transformer C’est l’éveil de la conscience absolue qui appelle l’homme à s’accomplir. Maintenant que dans une expérience tu as pu reconnaître ta vraie nature, deviens ce que tu as éprouvé, senti, ressenti. Cette conscience intérieure rappelle l’homme à son ordre originel. Sans la naissance de cette conscience, il n’y a pas encore d’expérience authentique » 9.

L’être est donc inséparable de l’expérience, il se construit et se réalise par elle. En effet, « si l’être qui est au sommet de la pyramide des concepts, le concept le plus abstrait du monde, si l’on renverse cette pyramide, la pointe dirigée par le bas, alors l’être indique la chose la plus concrète en tant qu’expérience » 10. L’être humain apprend à se connaître par la voie de l’expérience. L’ensemble de ses sens est ainsi sollicité à travers les temps de pratique et les temps d’observation. L’expérience est la matière de la connaissance et sert l’être humain tant dans son évolution temporelle que dans sa croissance spirituelle, chacun de ces aspects représentant le caractère dual du développement personnel nous amène à nous interroger la voie que sert le développement personnel (cf art. le développement personnel au service de quelle voie?).

Julien B.


 

1 MASLOW Abraham H., Vers uns psychologie de l’être, Domont : Éditions Fayard, 2007, p.127.

2 Ibid., p.83.

3 Ibid., p.125.

4 CIKSZENTMIHALIY Mihaly, Mieux vivre en maîtrisant votre énergie psychique, Saint-Amand-Montrond : Éditions Robert Laffont, 2005, p.161.

5 Ibid, p.42.

6 Ibid., p.152.

7 Ibid., p.93.

8 DURCKHEIM Karlfried Graf, Le Centre de l’Etre, Paris : Éditions Albin Michel, 1992, p91

9 Ibid., p.93.

10 Ibid., p.95.

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