La philosophie antique aux sources du développement personnel

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Bien qu’il ait été redécouvert dans la contre-culture américaine des années 60 (cf art. les origines modernes du développement personnel), le développement personnel, en tant que processus volontaire d’Être en devenir, trouve racine dans l’antiquité. Autrement dit il a traversé les âges pour revêtir sa forme actuelle correspondant aux critères de notre temps. Si nous pouvons considérer que dans la pré-antiquité un tel processus existait, celui-ci était intrinsèque à la personne humaine qui ne s’évertuait pas à retrouver la substance de l’Être mais à la perpétuer par la transmission. L’œuvre de Pierre HADOT a montré que « la philosophie antique ne se réduisait pas à un discours, à un ensemble de théories enseignées dans des cours ou dans des livres, mais qu’elle fut aussi, et plus fondamentalement, un mode de vie, un art de vivre, une manière d’être »1. Ainsi dans ce contexte, le développement personnel est une investigation de la connaissance de soi faisant partie intégrante du mode de vie des philosophes antiques. C’est un apprentissage permanent du savoir être pour savoir percevoir, pour lequel une variété d’exercices spirituels proposent une véritable thérapie de l’âme.

La philosophie comme apprentissage de la connaissance de soi et du monde

« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux ». Cette inscription, gravée sur le fronton du temple de Delphes s’impose en précepte fondamental de l’accès à la figure de l’Homme sage, et va être largement diffusée par la pensée Socratique et plus largement par l’ensemble de la philosophie antique. D’une part, la connaissance de soi est présentée comme un apprentissage qui ne peut se restreindre à ses seuls aspects théoriques mais qui doit aussi se traduire par des exercices pratiques (praxis). D’autre part, la formule delphique nous invite « à considérer d’une part l’Homme dans le Monde et, de l’autre, le Monde en l’Homme, comme l’endroit et l’envers d’une même médaille »2. Ainsi le développement personnel n’est qu’un moyen d’éducation dans l’apprentissage de la connaissance de soi. Néanmoins cette exploration de soi, se retour à soi, est la condition sine qua non de l’accès à la vertu, à la sagesse et à la recherche de la vérité ; c’est un « privilège-devoir » ou encore un « don-obligation ». Le développement personnel serait alors de facto « sous -tendu par l’articulation de la vertu et de la morale d’une part, et la recherche de la vérité et de la connaissance de soi d’autre part, à l’aide de la philosophie »3. Il s’agit d’un processus mis en marche par un enseignement théorique mais surtout pratique. Ce processus s’inscrit dans un rapport de maître à élève/disciple à travers le prisme de l’éducation. Il faut apprendre à savoir-être pour savoir percevoir. « Pour les philosophes grecs et latins de l’antiquité, il était logique de devoir travailler à devenir et à rester un être humain : vivre, dialoguer, maîtriser ses passions, tout cela relevait à la fois d’une éducation et d’une démarche personnelle par la pratique d’exercices tels que l’askésis ou meletê »4, c’est à dire des pratiques « destinées à opérer une transformation du moi »5. Les grandes écoles philosophiques qui ont dominé le monde antique se sont caractérisées par le choix d’une manière de vivre particulière : une vie examinée pour les socratiques, une vie naturelle chez les cyniques, une vie détachée chez les sceptiques, une vie réjouie chez les épicuriens, une vie intérieure chez les stoïciens, etc6. Autrement dit, chaque courant disposait d’un ensemble de pratiques spirituelles ayant pour objectif commun d’accéder à la figure de l’homme sage. Dans ces conditions, le développement personnel est un processus sur la voie d’un idéal de bonheur, d’indépendance, de liberté et de bien-être, un idéal hédonique et eudémonique. « L’objectif de ces exercices est de sculpter sa propre statue. La statue préexiste dans le bloc de marbre et il suffit d’enlever le superflu pour la faire apparaitre »7. Ces exercices spirituels permettaient, aux philosophes et aux disciples qui les pratiquaient, d’élever leur conscience, d’avoir une approche multidimensionnelle de la place de l’être, de ses interactions avec les autres et avec le monde environnant. Et ainsi, de re-lier l’Être à lui-même et au cosmos, et prendre ainsi conscience de sa place en tant qu’unité faisant partie d’un tout dans le but d’accéder à la représentation symbolique de l’homme sage. Pour exemple, la pratique de la physique chez les stoïciens consistait dans un premier temps à s’ouvrir à une dimension cosmique, se replacer soi-même et replacer chaque événement dans la perspective de l’univers tout entier. Dans un deuxième temps, l’homme devait apprendre à accepter et à aimer le monde tel qu’il est : dire « oui » à l’univers dans sa totalité, vouloir ce qui arrive, même si ce qui arrive semble contraire à ses désirs. Autrement dit, « Tout ce qui arrive, arrive justement »8, l’Homme et la nature font partie d’un tout ordonné. Les exercices spirituels doivent donc permettre d’atteindre la figure de l’homme sage et n’ont pas pour but de « développer des compétences, ni des capacités « techniques » relatives à une discipline particulière, mais un état d’être, une sorte de posture interne, une attitude vis-à-vis de la vie, un changement intérieur. Les exercices proposés ne visent rien d’autre que cela, même s’il n’est pas exclu qu’ils entraînent naturellement le développement de certaines aptitudes »9. Ainsi faire un retour sur soi-même a pour but d’opérer un véritable travail de transformation de soi, qui est à la fois une transformation de sa vie et de son rapport au monde.

La variété des pratiques philosophiques

Il n’existe aucun traité systématique qui codifie un enseignement et une technique des exercices spirituels, mais certains écrits en font état. Le premier chapitre dans les entretiens d’Epictète est consacré à l’askésis et classe les exercices en fonction des trois facultés de l’âme : la faculté de désir, la faculté d’action, la faculté de pensée. Également, on retrouve deux listes d’exercices d’inspiration stoïco-platonicienne chez Philon d’Alexandrie. La première propose des exercices tels que la recherche, l’examen approfondi, la lecture, l’audition, l’attention, la maîtrise de soi, l’indifférence aux choses indifférentes. La deuxième liste propose les lectures, les méditations, les thérapies des passions, les souvenirs de ce qui est bien, la maîtrise de soi, l’accomplissement des devoirs10. « Ces exercices spirituels étaient très variés. Il y avait par exemple des pratiques corporelles comme l’abstinence, les épreuves d’endurance visant la maîtrise de soi, il y avait les ascèses mentales comme maîtrise des représentations, la préméditation des maux, la méditation contemplative comme l’exercice de la mort et l’examen de conscience, enfin il y avait des pratiques mixtes comme le dialogue, l’écoute, l’écriture et la mémorisation de notes personnelles. Selon la typologie de HADOT, on peut les répartir en trois classes : les exercices de conformité à la nature, les exercices impliquant les relations sociales et des exercices personnels »11. L’exercice de la mort consiste à changer de perspective, à passer d’une vision des choses dominée par les passions individuelles à une représentation du monde gouvernée par l’universalité et l’objectivité de la pensée. Socrate, dans son apologie, revendiquait la pratique de l’examen. La vie devait être consacrée à la mise en question perpétuelle de soi-même. En effet pour lui, le premier devoir est de revenir à soi, de s’appliquer à soi-même, d’avoir souci de sa propre vie. S’il l’on peut noter l’existence de pratiques corporelles, l’âme est le véritable objet de ces pratiques, le corps n’étant qu’un support du perfectionnement intérieur. Les exercices spirituels de la philosophie antique apprennent à vivre centré sur le présent à travers la conscience de soi en reconnaissant ses intentions et ses motivations en toute honnêteté, vis à vis de soi-même. Ils apprennent aussi à avoir conscience du lien entre l’homme et la nature, de l’homme comme élément d’un Tout, d’une unité, faisant Un avec le cosmos. Pour les philosophes de l’antiquité il ne suffisait donc pas seulement de vivre mais il fallait apprendre à vivre. « Ainsi, apprendre à vivre n’avait à leurs yeux rien de choquant, et il fallait pour cela travailler à soi, comme le musicien travaille à son instrument et pratique régulièrement et humblement ses gammes. Pour eux, cyniques ou stoïciens notamment, les paroles n’étaient rien, seule la manière de vivre avait du sens et désignait le sage, l’homme de bien »12. Par ailleurs, le sage écrit Sénèque « a envers tous les hommes les mêmes dispositions que le médecin envers les malades »13. La philosophie antique a donc une véritable portée thérapeutique en ce sens qu’elle oriente tout autant nos actions qu’elle organise notre pensée. L’objet de cette philosophie medicans (médicinale) est l’âme.

Des exercices spirituels comme thérapie de l’âme

Il faut entendre le mot thérapie, dans son sens originel, « qui remet en harmonie »14, « prendre soin » . Dans ce sens, la thérapie n’a pas tant un aspect curatif que préventif. Il s’agit d’un soin dont l’objectif n’est pas tant de réparer que d’entretenir l’âme dans un processus de croissance. « Dans les textes antiques qui assimilent la philosophie à une activité thérapeutique, l’objet supposé ou déclaré de cette activité est l’âme, de même que celui de la médecine au sens propre est le corps »15. Ainsi le domaine de la psukhê (le souffle, l’âme) est réservé au philosophe tandis que le domaine du sôma (le corps) à celui du médecin. Néanmoins le domaine du sôma n’est pas l’apanage exclusif du médecin dans la mesure où certaines écoles philosophiques semblent prescrire des exercices physiques à des fins d’épanouissement de l’âme dans son « temple ». « Pour toutes les écoles philosophiques, la principale cause de souffrance, de désordre, d’inconscience, pour l’homme, ce sont les passions : Désirs désordonnés, craintes exagérées. La domination du souci l’empêche de vivre vraiment. La philosophie apparaîtra donc en premier lieu, comme une thérapeutique des passions (…). Chaque école a sa méthode thérapeutique propre, mais toutes lient cette thérapeutique à une transformation profonde de la manière de voir et d’être de l’individu. Les exercices spirituels auront précisément pour objet la réalisation de cette transformation »16. Autrement dit, la réalisation de soi est un long chemin de pratiques visant à prendre soin de l’âme et le cas échéant à la remettre en harmonie avec le corps, l’esprit et la nature, face à sa principale affection qu’est l’illimitation du désir. Par la suite, au cours de l’histoire, jusqu’à l’avènement du développement personnel moderne, celui-ci va connaître de multiples formes et des objectifs variés, appréhendé tant par les théologiens, que les philosophes ou encore par les écrivains. Puis à la naissance de la psychologie, celle-ci va prendre le monopole de la psyché (psukhê, l’âme), et circonscrire le développement personnel à son propre domaine. Dans cette perspective, le développement personnel tel qu’il est présenté aujourd’hui puise de nombreux fondements théoriques dans le domaine de la psychologie (cf art. Les fondements psychologiques du développement personnel).

Julien B.


1 MOTTE André, HADOT Pierre, Exercices spirituels et philosophie antique, publié par Revues Kernos, disponible à l’adresse suivante : http://kernos.revues.org/138

2 SOUZENNELLE Annick (de), Le symbolisme du corps humain, Paris : Éditions Albin Michel, 1991, p.20.

3 HEE Elsa, La question des «formations au développement personnel» dans le champ de l’insertion, Th : Psychologie et Sciences de l’Éducation, Université : Louis Pasteur Strasbourg 1, 2006, p.126.

4 ANDRÉ Christophe, Une brève histoire du développement personnel, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, Juin 2011, N°23, 6p.

5 JAOTOMBO Franck, Le développement Personnel : Définition et Mesure, Th : Sciences de Gestion, Université : Paris Descartes, 2011, p.92.

6 DESROCHES Daniel, La philosophie comme mode de vie chez Pierre hadot, disponible à l’adresse suivante : http://ddesroches.ep.profweb.qc.ca/Pdf/Pierre_Hadot_Agora.pdf, consulté le 10 avril 2012.

7 Ibid.

8 AURÈLE Marc, Pensées pour moi-même, disponible à l’adresse suivante : http://pedagogie.ac-montpellier.fr/Disciplines/philosophie/ressources/Marcaurele_pensees.doc

9 JAOTOMBO Franck, Le développement Personnel : Définition et Mesure, Th : Sciences de Gestion, Université : Paris Descartes, 2011, p.92.

10 HADOT Pierre, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris : Éditions Albin Michel, 2002, 416p.

11 DESROCHES Daniel, La philosophie comme mode de vie chez Pierre hadot, disponible à l’adresse suivante : http://ddesroches.ep.profweb.qc.ca/Pdf/Pierre_Hadot_Agora.pdf, c

12 ANDRÉ Christophe, Une brève histoire du développement personnel, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, Juin 2011, N°23, 6p.

13 SÉNÈQUE, De la constance du sage, trad. Émile bréhier, Éditions Gallimard, Paris, 1962, 118p.

14 SOUZENELLE Annick (de), Le symbolisme du corps humain, Paris : Éditions Albin Michel, 1991, p.27.

15 VOELKE André-Jean, La philosophie comme thérapie de l’âme, Paris : Cerf, 1993, p.111.

16 MOTTE André, HADOT Pierre, Exercices spirituels et philosophie antique, publié par Revues Kernos, disponible à l’adresse suivante : http://kernos.revues.org/138

Commentaires

  1. Maurine Beillard  mai 15, 2018

    Bonjour,
    Merci pour vos articles très riches Julien B.
    Je suis étudiante entrepreneuse et je rédige actuellement un mémoire d’étude universitaire. J’aimerai citer des extraits de vos articles dans celui-ci, pourriez-vous me préciser les dates auxquelles vous avez rédigé les articles « La philosophie antique aux sources du développement personnel » et « les origines modernes du développement personnel » ainsi que votre nom de famille s’il vous plait ?

    Merci d’avance pour ces précisions,
    Bien à vous,

    Maurine

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