Le développement personnel en question [1]

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« Un vieux sage a dit : si l’homme de travers utilise le moyen juste, le moyen opère de travers » [1].
Cet adage recouvre parfaitement ce que les pratiques de développement personnel peuvent être aujourd’hui. Nous parlons de pratiques de développement personnel et non du développement personnel. La raison en est que ce dernier est principalement connu et perçu à travers le florilège de pratiques existantes. Le domaine est un marché en pleine expansion auquel on ne peut plus échapper. Les médias écrits, numériques, radiophoniques, télévisuels, ne cessent d’en parler.
Les librairies lui consacrent des pans entiers de magasins. Le développement personnel est partout : Comment être heureux ? Comment vous faire des amis ? Comment avoir des relations durables ? Comment influencer vos interlocuteurs ? Comment réussir votre vie ? etc.
Les pratiques de développement personnel sont présentées comme des recettes miracles aux vertus sans limites. Cette notion touchant au sentiment, à l’affect, à la relation à l’autre, au rapport homme femme, à toutes les facettes de l’être renvoie à un travail sur soi indispensable à l’épanouissement et au bien-être ; il est essentiel d’apprendre à se connaître. La littérature traitant de développement personnel est avant tout consacrée aux moyens pour arriver à un but précis, autrement dit nous sommes entourés de livres de techniques de développement personnel mais encore trop peu de livres sur le développement personnel.
Cette « carence » tient certainement du fait que le développement personnel est une notion un peu « fourre-tout » et qu’au final lorsque l’on s’intéresse à sa structure, il apparaît difficile d’en cerner les contours et d’en mesurer les effets. Pour notre part nous nous sommes intéressés principalement à ce que pouvait recouvrir le développement personnel et les pratiques qui en découlent. Nous avons voulu, à travers une recherche approfondie de la littérature sur le sujet, mettre en lumière ce que recouvrait ce concept et en quoi il pouvait prétendre être une réponse aux interrogations de notre monde en mutation.
Le concept de développement personnel n’est pas le fait d’un unique fondateur mais plutôt d’un courant de pensée alimenté au fil du temps par de multiples influences, théories et approches expérimentales. Bien que l’on puisse faire remonter son origine à la philosophie antique, il prend son essor dans un contexte social et historique précis : celui des États-Unis d’après-guerre avec la propagation des théories psychanalytiques et l’avènement des sciences psychologiques, en particulier de la psychologie humaniste et transpersonnelle. Avec l’apparition du New-Age, l’attention du public commence à être attirée par le fonctionnement du psychisme humain et la volonté de se projeter dans un avenir positif, sur fond de domination politique et économique, en mettant l’accent sur les notions de croissance et d’efficacité personnelle. Il convient de s’interroger sur la locution même de développement personnel.

Vous avez dit développement personnel ?

D’une part le terme de « développement », sans cesse invoqué, est devenu une véritable injonction. Il a été invoqué le développement économique, inventé les pays en voie de développement, il est prôné le développement durable. Le même régime est appliqué à la personne humaine : Il faut qu’elle se développe. Il est aussi supposé que l’école doit œuvrer au développement de l’enfant. Une nouvelle loi, fortement intériorisée dans les imaginaires, fait régner son impérative dictature ; elle exige : Il faut se développer. Le développement est donc une sorte de loi générale de notre temps, allant de l’économie vers l’homme et inversement, à laquelle chacun doit se soumettre. « Le développement se veut être l’autre nom du Bien, le nouveau nom du Bien » [2]. Dans cette perspective, le vocable « développement » apparaît tout à fait discutable.
D’autre part le terme « personnel » renvoie à soi. Si le Soi peut être appréhendé comme « son centre intérieur », dans l’imaginaire collectif il renvoie plus facilement à l’égo, par conséquent nous passons d’une logique du retour à soi au retour pour soi. Cette logique ultralibérale est loin d’être une idée neuve et par ce jeu de retour intérieur se cultive en réalité un véritable culte narcissique de puissance. Sous cet angle, le développement personnel apparaît fort dangereux ; il n’est que le prolongement logique du dessein de notre monde. Pour cette étude, malgré toutes ces réserves formulées à l’égard de la locution « développement personnel », nous avons décidé de conserver cette expression puisque c’est elle qui est employée dans les ouvrages qui ont nourri notre recherche et que nous citons en référence. Néanmoins nous sommes conscients de l’utilité qu’il y aurait à choisir un autre terme plus proche de la réalisation de soi ou de la connaissance de soi. En effet, le développement personnel peut être envisagé autrement que comme un « contrat narcissique ». Il peut également être appréhendé comme une recherche intérieure dans la perspective d’inscrire son bonheur dans la construction et la préservation du bien commun.

De la connaissance de soi à la culture du tout illimité

Le développement personnel est un concept multidimensionnel complexe qui répond à la recherche de réalisation de soi et à la quête de sens, inhérentes à la nature humaine. Il est la voie de l’articulation de ce que l’on oppose ; la recherche de l’articulation entre le temporel et le spirituel, de l’articulation entre la contemplation et l’action, de l’articulation entre l’intérieur et l’extérieur : « la manière d’agir, c’est la manière d’être » . Autrement dit le développement personnel est avant tout un apprentissage de la connaissance de soi dans la perspective d’agir de manière harmonieuse avec l’ensemble de l’environnement. Il s’agit d’apprendre à percevoir au- delà des apparences, accepter que ce qui nous entoure répond en fonction de ce que nous sommes.
Autrement dit, nous créons sans cesse la réalité qui nous recrée. Le développement personnel est donc un processus pour lequel le temps n’a pas d’importance. Son essence tient de l’auto-découverte et par conséquent ne peut vraiment s’enseigner : « personne d’autre que nous ne peut nous enseigner à être nous-mêmes ». Depuis l’antiquité et la célèbre formule delphique « connaîs-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », l’être humain est en quête de réalisation.
Si la philosophie de l’antiquité appréhendait la vie comme le chemin de la connaissance de soi dans son interdépendance avec le cosmos, la psychologie contemporaine s’est emparée de nombres de concepts de réalisation de soi dans une approche techniciste et scientifique. L’ère de la mondialisation a semble-t-il permis la démocratisation de ce processus d’apprentissage mais a également creusé l’écart entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Dans sa fonction, le développement personnel a été redécouvert non plus comme un processus de réalisation de soi mais comme un processus d’actualisation de son potentiel, donnant naissance au culte du «tout illimité». Néanmoins, dans cette perspective nous sommes loin de cet apprentissage authentique qui est plus qu’une simple accumulation de savoirs.
En effet, l’apprentissage authentique est «un apprentissage qui provoque un changement dans la conduite de l’individu, dans la série des actions qu’il choisit pour le futur, dans ses attitudes et dans sa personnalité, par une connaissance pénétrante ne se limitant pas à une simple accumulation de savoirs mais qui s’infiltre dans chaque part de son existence » [3] .

La rationalisation de la personne humaine

En outre, la plupart des courants psychologiques ont cherché et cherchent encore à rationaliser l’intime de l’être. De la théorie de l’actualisation de son potentiel à la recherche du bonheur, en passant par la transcendance de soi, ou encore le bien être, tous ces concepts ont été opérationnalisés et ont donné lieu à un certain nombre de critères déterminants ceux qui ou qui ne sont pas dans une des voies du développement personnel. L’opérationnalisation de ces notions est quelque peu problématique.
La mesure réduit ainsi le bien-être, l’épanouissement ou encore le bonheur à des équations rationnelles et risque d’enfermer ces notions dans un processus de normalisation dont la conséquence serait d’avoir un ou des organes décideurs de l’état du bien ou mal-être des individus. Par ailleurs le développement personnel est une notion complexe dont les cadres semblent s’entrelacer à d’autres notions de différents domaines. Dans ce sens, s’il est aisé d’appréhender le développement personnel à travers le prisme de la santé mentale, nous insistons sur les difficultés à le positionner vis-à-vis des psychothérapies, leurs inter-actions et techniques étant partagées par ces deux domaines. Néanmoins nous nous interrogeons sur le fait de savoir si développement personnel et psychothérapie sont à mettre sur le même plan ?

Une définition du développement personnel

L’étude de Jaotombo sur « Une définition et mesure du développement personnel » nous apporte un certain nombre d’éclairages. Après un vaste travail de recherche théorique et une recherche consensuelle entre les différents courants et disciplines qui ont forgé le développement personnel, il a mis en lumière un certain nombre de caractéristiques qui définissent le développement personnel. « Il s’agit d’un processus sans fin, le long d’une direction qui facilite de plus en plus l’actualisation des potentiels de l’individu. Cette direction tend vers un état idéal de plein épanouissement psychologique, de sagesse et d’intégration sociale »4 . Puis à partir de différents modèles de mesure existant, Jaotombo a conceptualisé un modèle de développement personnel et a proposé une deuxième définition, étendue et plus précise du développement personnel. C’est « un processus successif (et itératif) d’apprentissage et de découverte, d’exercice de volonté, de confrontation aux interactions et d’intégration harmonieuse des paradoxes » [5]. À cette définition il convient de préciser que c’est un processus sans fin dont chaque être humain possède la jouissance. Par ailleurs, nous avons fait le constat que le développement personnel suit principalement deux axes qui correspondent aux dimensions temporelle et spirituelle, ces dimensions se manifestant chacune par un florilège de pratiques. Ces dernières suscitent un engouement tant chez les particuliers qu’au sein des organisations qui ne cessent de croître s’inscrivant pleinement dans le flux de mutation que connaît notre monde contemporain. Face à une crise d’identité généralisée, une quête de sens de plus en plus présente et pressente, le développement personnel se veut être une réponse à la crise du monde moderne encore conviendrait-il de définir ce qu’il sert précisément ?

1. Jung Carl Gustav, Commentaires sur le mystère de la fleur d’or – Paris : Éditions Albin Michel, Collection Spiritualités, 1950, pg 22-23

2. Redeker Robert, Le développement personnel contre la personne, disponible ici.

3. Durkheim Karlfield Graf, Le centre de l’Etre – Paris : Editions Albin Michel, 1992, pg 189

4. Jaotombo Franck, Le développement personnel : Définition et Mesure – Th : Sciences de Gestion – Université : Paris Descartes, 2011, 380p.

5. Ibid., op cit

Commentaires

  1. memed  octobre 17, 2015

    Bravo pour cet article, qui je trouve explique bien la mode du développement personnel, porte d’ entrée souvent vers des théories très imaginatives ! Tout à fait d’accord avec cette tendance au narcissisme spirituel, l’ ornementation de l’ égo…avec des justifications non duelles bien affirmées et pourtant quasi jamais vécu.

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