Le développement a un large champ d’action dont les frontières avec d’autres domaines sont parfois floues voir ambiguës. Tel est le cas en particulier avec la psychothérapie (cf article développement personnel et psychothérapie). Toutefois le développement personnel, en tant que processus dynamique s’inscrit dans une pratique au sens large à savoir le champ de l’expérience (cf article le développement personnel au regard de l’expérience). Par ailleurs, celui-ci doit dans un premier temps être appréhendé à travers le prisme de la santé mentale. La notion de santé mentale permet de déterminer quel type de public et quels types de praticiens sont aptes à pratiquer le développement personnel. En effet le développement personnel s’applique à des personnes mentalement saines, tandis que les troubles mentaux venant paralyser le développement de la personne rentrent dans le champ de compétence des psychiatres, psychothérapeutes, autrement dit du corps médical au sens large.
la santé mentale au-delà de l’absence de maladie mentale
La compréhension de la notion de santé mentale s’avère fondamentale dans la délimitation du champ d’action du développement personnel. Depuis plus d’un demi-siècle des recherches sont réalisées dans ce domaine et ont établi que la santé mentale était plus que l’absence de maladie mentale . Aujourd’hui, compte tenu de l’accroissement des troubles psychologiques (stress, anxiété, dépression, etc.) en particulier dans les environnements de travail, le thème de la santé mentale est devenu une préoccupation européenne majeure de santé publique. La compréhension de la santé mentale nous permettra de donner sa place au développement personnel.
Dès 1946, l’OMS donne une définition de la santé dans laquelle elle introduit la notion de santé mentale sans toutefois la définir en elle-même. « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité»1. Cette définition a pour important corollaire que la santé mentale est d’avantage que l’absence de troubles mentaux. En 1948, la commission préparatoire du III ème congrès international de la santé mentale définit celle-ci comme condition permettant un développement optimum de l’individu au point de vue physique, intellectuel et affectif dans la mesure compatible avec la santé mentale des autres. Il est précisé qu’une bonne société est celle qui permet à ses membres un tel développement, assurant son développement propre tout en étant tolérante à l’égard des autres sociétés2. Cette définition en mettant en avant le développement de l’individu pose ainsi les bases de ce qui allait devenir plus tard le mouvement du potentiel humain. D’autre part, il est important de noter la prise en compte de la société qui apparaît comme un facteur essentiel du développement des individus. En 1958, Marie JAHODA, une des pionnières dans la conceptualisation de la santé mentale positive met en lumière six concepts fondamentaux pour la caractériser :
– L’attitude positive et acceptante face à soi,
– La réalisation de son potentiel,
– L’intégration des fonctions psychologiques (équilibre),
– Une perception sans distorsion de la réalité,
– La maîtrise de l’environnement3.
Les caractéristiques énoncées nous proposent un état « idéal » de la santé mentale, proche du concept de « good life » chez ROGERS. Ces caractéristiques seraient une sorte d’objectif à atteindre dont le développement personnel serait une des voies. « En 1999, le directeur des services de santé publique américain définit la santé mentale comme « un état de bon fonctionnement mental résultant en activités productives, des relations satisfaisantes avec les gens et la capacité à s’adapter au changement et faire face à l’adversité »4. Il faudra attendre jusqu’en 2004, pour que l’OMS se positionne et donne une définition de la santé mentale : « c’est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté»5. L’OMS a adopté un modèle bio-psycho-social de la notion de santé mentale et la définition positive qu’elle en donne prend en compte le bien-être de l’individu et le bon fonctionnement de la communauté ainsi que leurs interactions comme fondements de la santé mentale.
Une préoccupation européenne de santé publique
Bien que ce concept a fait l’objet de nombreuses recherches et a donné lieu à de nombreux outils de mesures depuis 50 ans, la première décennie du XXI ème siècle a fait de la santé mentale une véritable question de santé publique. Dans cette perspective, la Conférence Européenne « Ensemble pour la santé mentale et le bien-être » qui s’est déroulée à Bruxelles en juin 2008 a établi le pacte européen sur la santé mentale et le bien-être. Ce pacte a érigé la santé mentale au rang des droits de l’homme affirmant qu’elle « est indispensable à la santé, au bien-être et à la qualité de la vie. Elle favorise l’apprentissage, le travail et la participation à la société. Le niveau de santé mentale et de bien-être de la population joue un rôle essentiel dans la réussite de l’Union Européenne en tant qu’économie et société fondée sur la connaissance. C’est un facteur important dans la réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne pour la croissance, l’emploi, la cohésion sociale et le développement durable »6. La santé mentale énoncée dans le pacte se radicalise encore un peu plus vis-à-vis de la définition donnée par l’OMS. Elle est un droit de l’homme uniquement dans la mesure où elle satisfait aux exigences de croissance de l’union européenne. Elle n’est plus appréhendée comme une fin en soi mais comme un moyen de bon fonctionnement de la société européenne. « Selon l’OMS et l’Union Européenne, on distingue aujourd’hui trois dimensions de la santé mentale :
– Les troubles mentaux.
– La détresse psychologique ou souffrance psychique qui traduit un état de mal-être qui n’est pas forcément révélateur d’une pathologie ou d’un trouble mental. Elle correspond à la présence de symptômes anxieux et dépressifs peu intenses liés à des situations éprouvantes et à des difficultés existentielles.
– La santé mentale positive. Cette dernière dimension, longtemps négligée, recouvre l’estime de soi, les capacités d’adaptation, le sentiment de maîtrise de sa vie, etc. Tout comme la santé physique, elle est la condition d’une vie réussie »7.
Ainsi, le développement personnel n’aurait de place que dans le champ de la santé mentale positive et serait en concurrence avec la psychothérapie le champ de la détresse psychologique. A travers les dimensions de la santé mentale adoptées par l’OMS et l’UE, force est de constater la difficulté de trouver un champ d’action du développement personnel bien défini. Cependant, les travaux de KEYES peuvent nous éclairer sur la question. En effet, à travers une vérification expérimentale, il a mis en évidence 13 dimensions pour spécifier la santé mentale, rassemblées en trois catégories :
– « Languishing »,
– La santé mentale modérée,
– « Flourishing » la pleine santé mentale.
Il déduit un continuum de la santé mentale à trois degrés : l’absence de maladie mentale qui introduit la notion de languishing « languir », se morfondre ; la santé mentale modérée et la pleine santé mentale « flourishing ». Pour ces deux derniers stades qui correspondent aux deux degrés de la santé mentale, les conditions de celle-ci sont les émotions positives, le fonctionnement psychologique positif et le fonctionnement social positif.
La place du développement personnel dans le champ de la santé mentale
La santé mentale positive a donc été opérationnalisée par KEYES. Le tableau suivant résume les trois dimensions de la santé mentale positive selon KEYES :
Les émotions positives sont articulées autour de deux dimensions que sont l’affect positif et la qualité de vie déclarée. L’affect positif reflète la bonne humeur, le sentiment d’être heureux et intéressé par la vie tandis que la qualité de vie déclarée reflète le sentiment de satisfaction voire de grande satisfaction de sa vie ou de certains domaines de sa vie. Le fonctionnement psychologique positif et le fonctionnement social positif reprennent respectivement les six dimensions mises en évidence par RYFF et les cinq dimensions mises en évidence par KEYES dans leurs travaux relatifs au bien-être psychologique (cf art. Le monopole de la psychologie sur le développement personnel). Le tableau ci-dessus présente l’ensemble des dimensions qui sont évaluées pour poser le diagnostic d’un état de santé mentale positif. « Le diagnostic de santé mentale florissante est posé lorsqu’un score élevé (« chaque jour » ou « presque chaque jour » durant les deux dernières semaines) est atteint sur au moins une mesure du bien-être hédonique et au moins 6 des 11 mesures du fonctionnement positif. Le diagnostic de santé mentale languissante repose sur la présence d’un score bas (« jamais » ou « une ou deux fois » durant les deux dernières semaines) sur au moins une mesure du bien-être hédonique et au moins 6 mesures du fonctionnement positif. Les personnes qui se situent entre une santé mentale florissante et languissante reçoivent un diagnostic de santé mentale positive modérée »8. Dans la continuité de ses travaux avec RYFF, KEYES propose donc un modèle de la santé mentale positive qui peut nous aider à cerner la place du développement personnel. Le tableau suivant résume le modèle de la santé mentale positive selon KEYES :
À la lumière de ce qui précède, le champ d’action du développement personnel se situe dans le domaine de la santé mentale positive tandis que le corps médical (au sens large) agit dans le champ des maladies mentales. Néanmoins, l’interrogation sur l’action du développement personnel en cas d’absence de maladie subsiste. Il semblerait que ce soit dans ce domaine, dans le champ de la santé mentale languissante, que développement personnel et psychothérapie se disputeraient la place et force est de constater que la frontière entre les deux est loin d’être bien définie (cf article développement personnel et psychothérapie).
Julien B.
1 OMS, La santé mentale : renforcer notre action, disponible à l’adresse suivante : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs220/fr/
2 CLOUTIER François, La santé mentale, Vendôme : Presses Universitaires de France, 1977, p.15.
3 Ibid.
4 JAOTOMBO Franck, Le développement personnel : Définition et Mesure, Th : Sciences de Gestion, Université : Paris Descartes, 2011
5 OMS, La santé mentale : renforcer notre action, disponible à l’adresse suivante : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs220/fr/
6 Union Européenne, Pacte Européen pour la santé mentale et le bien-être, disponible à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/health/ph_determinants/life_style/mental/docs/pact_fr.pdf, 7p.
7 OMS, La santé mentale : renforcer notre action, disponible à l’adresse suivante http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs220/fr/
8 PROVENCHER Hélène, KEYES Corey L.M., «Une conception élargie du rétablissement», L’information psychiatrique, Septembre 2010, N°7, Volume 86, p.579 à 589.
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