Le développement personnel en question [II]

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L’Homme – responsable de son devenir et du devenir de l’humanité – est confronté à la problématique de l’Être et de l’Avoir. Il est aisé de constater qu’à l’époque dans laquelle nous vivons, la reconnaissance de l’Être est asservie et ensevelie par l’accumulation des biens définis comme seules richesses. Pour autant le monde change, s’interroge, et le développement personnel trouve une place de choix dans ce contexte flagrant de mutation de la conscience collective – donc de la conscience individuelle -. En effet il est frappant de constater l’émergence de plus en plus importante d’interrogations et de peurs dans la communauté des Hommes, chez certaines personnalités politiques ou intellectuelles, sur le devenir de notre monde et de son humanité face aux affres du progrès qui ne sont pas sans rappeler la maxime de Pantagruel « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Crise économique, crise sociétale, crise identitaire, l’Homme est en quête de réponses sur son devenir et d’indications sur les voies à suivre pour un autre futur. Or les Hommes, par leurs inter-actions, se positionnent comme les créateurs du système monde et il ne nous paraît pas insensé d’y percevoir un jeu de miroir du monde reflétant l’image de l’Homme et/ou de l’Homme reflétant l’image du monde. Et malgré les merveilles réalisées par lui et son potentiel créateur, les abondantes revendications d’une volonté de mieux-être et d’appels à la paix sur l’ensemble de la planète nous laissent à penser que le monde est en souffrance. Or si le monde est à l’image de l’homme, l’homme lui-même serait-il en souffrance? Dans cette perspective le développement personnel, à travers un retour à soi, se propose d’être une voie de salut dans notre monde en mutation. Néanmoins, face à cet engouement sans cesse croissant, Il s’agit de s’interroger sur la légitimité du développement personnel dans la mesure où celui se manifeste par des pratiques diverses aux intérêts multiples.

Des pratiques diverses aux intérêts multiples

Aujourd’hui on ne saurait recenser toutes les pratiques de développement personnel. Qu’elles soient corporelles, verbales ou manuelles, celles-ci prétendent toutes agir sur l’humain et par voie de conséquence, sur son environnement. Différentes de la psychanalyse, elles ont pour vocation première de répondre à la grande question du sens de la vie ; quête de sens qui n’a sans doute jamais suscité autant d’enthousiasme que dans ces temps de crise. En outre, si les individus ne se développent pas c’est que leurs systèmes de croyances les limitent dans leur évolution. La peur en est le principal saboteur. Peur de laisser un état d’être pour se lancer vers un horizon nouveau dont les repères sont à créer. Autrement dit, l’être humain a soif de changement, mais se désir fantasmatique reste circonscrit au monde de l’envie dans la mesure ou l’Homme est peu ou prou enclin à aller vers des chemins inconnus. Dans la sphère professionnelle, si certaines pratiques de développement ont gagné l’intérêt des organisations c’est parce que dans leur ambivalence elles peuvent être un véritable vecteur de croissance. Dans ce contexte de mutations organisationnelles, les arcanes du monde entrepreneurial ont bien compris la nécessité d’instaurer de nouvelles formes de management au sein des organisations. Des travaux académiques sont publiés sur les bienfaits de la positivité dans les organisations, des groupes de recherches sont créés afin de réfléchir sur la capacité des pratiques de développement personnel à réduire les risques psychosociaux. Le changement, la rupture viennent des nouvelles générations. Elles ont fondamentalement changé, elles sont et seront de plus en plus attachées à l’humain : humanité des relations, recherche de personnalisation et de sens des projets. Le début de ce troisième millénaire marque déjà le triomphe de nouvelles valeurs, et ces nouvelles valeurs collent mal avec la vision froide, parfois cynique, des entreprises.

Le développement personnel en entreprise est-il un leurre ?

Pour attirer les talents et les clients, pour réussir son intégration citoyenne et pour rendre ses produits désirables, pour se rendre simplement acceptable, l’entreprise devra donc aussi produire du sens, de la relation, surtout dans une ère de mondialisation des marchés. On peut parier que, grâce à une concurrence mondiale accrue, le troisième millénaire sera plus humain, parce que la bataille économique se gagnera sur ce terrain-là. Dans cette perspective de nombreux outils de développement personnel sont utilisés et enseignés dans les entreprises et universités afin de développer la connaissance et l’affirmation de soi à travers des outils de personnalité et de communication. Le travail est devenu un véritable « match » quotidien dans lequel les coachs ont trouvé une place de premier choix. Ces nouvelles méthodes de coaching ont investi le terrain des organisations avec une impressionnante vélocité. Les entreprises quant à elles, ont bien compris que le développement personnel est un vecteur de croissance. Travailler sur ses employés pour que ces derniers trouvent un lien solide entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle, pour leur donner les moyens d’apprendre à gérer leur stress ainsi qu’à communiquer de façon efficace. Le développement personnel en entreprise a donc également pour ambition de favoriser le bien être des employés dans un souci de productivité et ce sentiment de bien-être doit avoir pour effet de réduire les risques psychosociaux. Dans ce contexte nous assistons au glissement du développement personnel vers le développement des compétences professionnelles et du comment devenir plus ; plus influent, plus efficace, plus compétitif, plus créatif. Les managers sont formés à être des managers coachs. Les instruments traditionnels de pression et de coercition laissent le pas aux outils de communication et au développement de la responsabilisation de chacune des parties prenantes de l’entreprise. Par conséquent de nouveaux instruments de pouvoir se mettent progressivement en place et le modelage des employés doit s’opérer dans la recherche de leur bien être dont la jouissance serait malgré tout subordonnée à l’entreprise et à son impératif de productivité et de rentabilité.

Une légitimité partagée

Par ailleurs, le développement personnel est de plus en plus attractif de par les solutions qu’il propose. Si ces solutions divergent suivant les intérêts des particuliers ou des organisations, le développement personnel assoit sa légitimité par un public qui manifeste son besoin de changement et de sens. Cette effervescence et cet attrait pour le domaine nourrissent et entretiennent le désir de se créer un nouvel imaginaire plus juste et plus humain. Nombre d’initiatives qualifiées de marginales ou alternatives sont l’expression d’un possible différent face à l’iniquité de la réalité quotidienne. « Ces rêves sociaux éveillés de l’humanité en révolte contre la réalité de leur époque, prennent le plus souvent naissance d’une manière balbutiante et nostalgique. Puis, ce qui n’était à l’origine que représentation mentale, fantasme ou idée fixe, finit par acquérir une force, une consistance »1 . Dans cette mesure le développement personnel se veut être à la fois un outil et un moyen de dynamiser ce processus de changement tant dans la vie de tous les jours que dans la sphère professionnelle. D’une part dans la sphère privée il prétend, de manière sous-jacente, apporter une nouvelle forme de citoyenneté dans laquelle l’Homme serait de plus en plus responsable dans son interdépendance avec son environnement tant social que naturel. Également, le développement personnel a dans certaines de ses facettes la prétention de vouloir ré-harmoniser l’homme dans son rapport à la dialectique de l’être et de l’avoir. Dans la sphère organisationnelle, le développement personnel peut engendrer un processus de responsabilisation au niveau de chaque strate hiérarchique et favoriser les prises de décisions conscientes en conciliant les intérêts économiques aux intérêts de chacun en particulier grâce au développement des processus positifs dans les organisations. D’autre part un certain nombre de modes de management alternatifs voient le jour tel que, entre autres, la responsabilité sociale de l’entreprise en se concentrant sur les aspects humains ainsi que sur le rôle et l’impact environnemental de l’entreprise. Ainsi, qu’il soit appréhendé dans sa dimension temporelle ou spirituelle, dans un cadre individuel ou de groupe, le développement personnel véhicule un champ de possibles propice au changement plus juste et est accueilli par son public comme salutaire dans notre époque de désordre global. Néanmoins, le développement personnel connaît aussi ses détracteurs pour lesquels sa légitimité est fortement critiquée dans la mesure où il serait soit l’apanage des groupes sectaires soit un nouvel outil à peine dissimulé de pouvoir utilisé par une minorité sur une majorité. Par ailleurs, si tout le pan du développement personnel dans sa facette spirituelle est victime d’un certain nombre de dérives sectaires, dans sa facette temporelle le développement personnel aboutit malheureusement trop souvent à un simple développement des compétences professionnelles et à un immobilisme personnel ; ayant pour conséquence un oubli des valeurs. Autrement dit, l’Homme du développement personnel se refermerait dans sa coquille qu’il développerait à son seul profit, pour son seul bien-être. Enfin le développement personnel tendrait à devenir un remède addictif prescrit à tout un chacun, façonnant l’individu selon des modèles déterminés par le truchement d’une mécanique de plus en plus technicisée. Ainsi, tout l’enjeu pour les praticiens et usagers du développement personnel est d’identifier au préalable leurs motifs de volonté de changement car « C’est seulement en intégrant des capacités d’engagement et de désir de changer le monde, que le développement personnel dépassera son narcissisme infantile et accomplira le pressentiment d’Etty Hillesum : notre seul moyen de préparer les temps nouveaux, c’est de les préparer déjà en nous »2 .

Julien B.


1Laplantine François, Les trois voix d l’imaginaire, ed. Téraèdre, Paris, 2010, p.30-31

2André Christophe, Une brève histoire du développement personnel, Les Grands Dossiers des sciences humaines, juin 2011, n°23, 6p.

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